Carnet

 

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17/12/2007

Vous êtes tout ce que j'ai.

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Il y a quinze ans vivait ici un inconnu qui portait mon nom et avait mon visage. Je le rencontrerai bientôt.

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Plus les ennemis m'attaquent et plus je me sens protégé. Le danger me fournit une armure.

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La vie à 24.000 images seconde, la vie accélérée mille fois; la vie d'un fou, si vous préférez.

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Le temps humain n'a aucune prise sur moi.

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16/12/2007

Bordeaux n'est pour moi qu'un outil, un merveilleux objet complexe, fruit de deux mille ans d'art et de philosophie. Je pourrais aussi bien vivre ailleurs, dans une ville équivalente, Osaka, Trieste, Boston, Edimbourg, Marseille, Pondichéry ou Rio.

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J'irai là où une femme m'appellera.

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Toc, toc : puis-je entrer dans votre esprit, mademoiselle ?

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15/12/2007

Mes paroles vous guériront — c'est mon travail —.

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Je me suis mis en vacances pour quelques temps : je ne pense presque plus, j'écris à peine, je ne lis plus rien, je me lève à midi, je fais des siestes sans fin, je drague toutes les femmes que je rencontre.

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Cessons de tout prendre au tragique.

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Un écrivain a toujours du jeu; à tout moment de la partie, il tient en main de quoi écraser la table.

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14/12/2007

Les dimensions de son corps augmentent rapidement, et bientôt elle occupe toute la grande nef de l'Entrepôt Lainé. Elle est là, géante, à demi-allongée sur le sol, accoudée telle une odalisque, à la fois souriante et surprise.

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Je vais réduire la planète à la taille d'une balle de golf. Aucun être, aucun objet, aucun continent, ne sera aussi énorme qu'elle et moi.

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Normalement, je n'aurais pas dû devenir écrivain, mais plutôt dictateur ou savant fou.

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Je n'écris pas, je triche. Je ne joue pas le même jeu que les autres écrivains vivants.

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13/12/2007

Je tricote mes journées les unes aux autres sans me poser de questions. Je me lève, je travaille, je mange, je marche, je mange encore, je travaille à nouveau, je lis, je dors, je me lève.

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Je m'étais persuadé que le futur était inentamable; lourde erreur. Je vais maintenant l'attaquer à la masse, on verra ce qu'on verra.

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Bien sûr, le monde est le monde parce que c'est là qu'elle est née et là qu'elle vit.

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12/12/2007

Venez plus près de moi, collez votre oreille à ma bouche.

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Pendant mon sommeil, je découvre que je monte un cheval blanc légendaire pour traverser la forêt.

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Le jeu est trop agréable; c'est aussi pour ça que les écrivains ne peuvent jamais s'arrêter d'écrire, qu'ils continuent jusqu'à la fin.

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Je tends mon bras de toutes mes forces, je tire, je tire. Je sais que c'est à ma portée, que je peux l'obtenir.

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11/12/2007

Chaque matin, j'espère que ça y est, que je suis enfin arrivé à destination.

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Un jour, sans raison, les éléments se sont déchaînés contre moi.

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Qu'ai-je à dire pour ma défense ? ce que je suis en train d'écrire.

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Je veux bien aller n'importe où si la femme que j'aime m'accompagne.

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10/12/2007

Le livre que j'écris aujourd'hui, plus tard je pourrai le manger, et le goût de ses pages sera doux comme du miel.

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La faux raye l'espace tout autour de moi, elle me frôle sans cesse, à droite, à gauche, au-dessus, au-dessous, change d'angle et de vitesse.

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Je dois constamment esquiver cette faux par un brusque déplacement du cou, de l'épaule, des bras, sinon je vais être amputé, démembré, décapité, découpé net parce que je me serai endormi. Il me faut devenir insomniaque pour demeurer vivant.

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J'ai attendu tellement durant ma vie, des heures, des milliers d'heures, dans des voitures, dans des trains, dans des bureaux, dans toutes sortes de pièces vides. Aujourd'hui je n'attends plus, je pars.

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09/12/2007

Cette aube-là sera différente de toutes les autres. Le soleil aura changé de couleur, il aura changé de nature.

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Avec l'existence qui est la mienne, mieux vaut avoir confiance dans l'avenir.

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J'étais un idiot incapable de compter ses doigts, et j'ai fini par devenir presqu'intelligent. Je lui apprendrai comment procéder. Si je l'ai fait, elle peut le faire.

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Mon corps parvient à deviner la présence de son corps à plusieurs mètres de distance. Comme un halo merveilleux, comme si l'oxygène alentour devenait sucré.

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08/12/2007

À la naissance on plonge dans le sommeil, et on ne se réveille plus jusqu'à l'heure de sa mort.

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Mon autobiographie, ce serait l'histoire de l'autre en moi, ce type du passé qu'on a vu monter dans le train mais qui, l'arrêt suivant, avait disparu du wagon.

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Je ne sais pas pourquoi ma vie a pris cette tournure bizarre, une inflexion pas désagréable mais tout de même franchement insolite.

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Une route dont le tracé dessine des courbes gratuites au milieu de la plaine déserte.

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L'autre rive semble toujours plus proche qu'elle n'est car les yeux sont trompeurs.

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07/12/2007

J'ai pris trop de précautions avec la vie jusqu'ici.

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Je n'irai pas mieux tant que je n'aurai pas réécrit les principales définitions du dictionnaire.

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Un abécédaire en guise de médicament, élixir magique. Chaque mot avait en réalité un autre sens et c'est pour cette raison que je ne comprenais rien à rien, que j'écrivais si maladroitement et que j'avais tellement de difficultés avec les jolies femmes.

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Il faut ouvrir le livre. Impossible de faire autrement : tu ne parviendras jamais à lire les phrases à travers la couverture; et imagine : toutes les lignes imprimées superposées l'une sur l'autre ! Desserre les poings; tourne les pages.

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06/12/2007

Je suis un écrivain, je suis un médecin qui rédige des étranges ordonnances. Tous mes malades guérissent. Ceux qui mourraient malgré tout, ressusciteraient peu après.

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J'ai quitté l'Université trop tôt pour qu'on ait le droit de m'appeler Docteur Marc Pautrel, quel dommage.

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Elle était tellement belle, qu'en lui parlant j'osais à peine la regarder. Ses yeux étaient trop lumineux, je ne pouvais pas les croiser sans rester aveuglé de longues minutes.

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Déjà si vieux ? la vie aura passé comme une ombre.

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05/12/2007

Même quand je souffre horriblement, je suis encore vivant.

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Ne jamais l'oublier : vivre est un miracle, un privilège interdit aux dieux de l'Olympe, le privilège des mortels.

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Régulièrement, on m'envoie des hommes et des femmes dotés de pouvoirs spéciaux et qui sont chargés de me tuer de façon symbolique. Mais l'un après l'autre ils deviennent mes alliés et me communiquent leur savoir.

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Chaque jour, neuve comme la rosée du matin. Rien ne se répète.

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04/12/2007

Regardez ce que j'écrivais il y a quinze ans, regardez comment mes phrases ont vieilli, touchez du doigt leurs rides majestueuses. Vous voyez bien que c'est vivant.

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Ils sont persuadés que je n'existe pas réellement, ou que je ne suis pas ce que je parais être, ou que ce que j'écris est faussé, copié, et n'a en réalité pas grande importance.

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Les meilleures vacances que j'ai jamais passées, ça a été des rêves. Chaque soir, en éteignant la lumière, je monte dans un avion qui décolle pour les contrées lointaines.

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On ne peut pas savoir quel cadeau involontaire on a fait à autrui.

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03/12/2007

Ma patience est surhumaine, je suis là depuis la nuit des temps, je serai encore là au soir de l'apocalypse, l'Univers se lassera le premier.

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Réussir à croire que ce qu'on vit est bien réel, ce n'est pas une mince affaire.

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Si je sais rester calme, si je ne tremble pas, si je peux garder mon stylo en accord avec mes sentiments, alors mon livre s'écrira tout seul et il sera vivant.

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Parfois, on tombe amoureux pour la vie.

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02/12/2007

J'ai des relations sexuelles avec le dictionnaire de la langue française.

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Le globe, l'espace d'un instant, est devenu plat comme une feuille et circulaire comme un disque. Nous progressons sur une pièce de monnaie pour géants, et au-delà du rebord du monde, c'est le gouffre.

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Celui ou celle qui inventa ce personnage à mon nom.

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Parfois je le trouve, le point d'équilibre entre le cauchemar et l'euphorie. C'est le fil à plomb de ma pensée.

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01/12/2007

Ce que je fais là, il faut bien que quelqu'un le fasse.

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Les chats me suivent dans la rue, ils n'ont pas peur de moi, ils veulent aller où je vais; c'est extraordinaire, ils semblent domestiqués. Les oiseaux : même chose. Sans doute dans le ciel aperçoit-on deux soleils.

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Le sol est mouvant et je n'ai rien à quoi m'accrocher; c'est comme ça, il faut faire avec; d'ailleurs, le monde a plus ou moins toujours été bancal.

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Je suis un grand sac capable de capturer le vent pour l'emmener ailleurs.

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30/11/2007

Plus la mer est profonde et mieux je flotte.

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Arrivé à un certain point, lorsque la pression est devenue trop forte, soit on meurt, soit on passe le cap et c'est la félicité.

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Je n'ai pas peur de l'infini.

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Travaille bien, dors beaucoup, sois heureuse.

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Les soirs où tu doutes, recompte tes doigts.

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29/11/2007

Ne pas se laisser glisser dans la douceur de la folie est beaucoup plus compliqué qu'on ne croit. Je suis souvent tenté.

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Ces derniers jours ont été si agités que je vais, pour quelques heures, me retourner et me mettre à nager sur le dos.

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Les couples qui n'auront pas pu se former sur terre durant leur vie, se formeront au paradis après leur mort.

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L'immense forêt de pins entoure Bordeaux comme une étole.

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28/11/2007

Ma situation ne s'améliore jamais car je veux monter toujours plus haut, délaisser un sommet pour un autre encore plus élevé.

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Au fond de moi il y a un océan où toutes les phrases sont déjà là, toutes prêtes, secrètes et encore jamais lues par quiconque.

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Mon seul honneur est de tout faire pour expulser cet océan vers l'extérieur, qu'il inonde la planète, le déluge, le déluge des phrases qui recouvriront tout, transformeront les hommes et les femmes en poissons.

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Vous ne pouvez pas comprendre. Il y a un autre, un double de moi, qui a pris le second chemin, jadis, mais qui ne peut pas le dire parce qu'il ne sait pas écrire.

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27/11/2007

J'ai fait le pari de me souvenir exactement de chaque femme dont je suis tombé amoureux et de réunir en un seul livre tous ces portraits, immense accordéon de mille pages, le livre de vie.

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Une source qui ne se tarissait pas, sous un soleil qui ne se couchait jamais, et moi qui parlais sans fatigue.

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Je le cache mais à chaque seconde mon esprit est colonisé par une femme. Sinon, je mourrais immédiatement comme un appareil électrique qu'on débranche.

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Quand j'étais jeune, je ne pouvais même pas espérer parvenir jusqu'au sentier sur lequel je marche aujourd'hui. C'était inimaginable à l'époque : je n'avais aucune intelligence, je n'étais qu'un retardé, un débile léger, pas méchant mais vraiment simplet. Alors qu'à présent je discerne le fonctionnement de milliards de forces secrètes, et mon cerveau continue de grandir chaque jour en force et en sagesse.

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26/11/2007

Je suis déçu par l'écriture, ce n'est pas un explosif assez puissant. Les choses avancent trop lentement, les murs ont été à peine éraflés lorsqu'ils devraient déjà être en poussière.

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Je ne suis pas venu jusqu'ici pour faire du coloriage; j'ai un objectif précis : que ce monde puisse m'appartenir comme m'appartient la peau qui recouvre mes mains.

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Les écrivains sont des êtres dangereux, ils créent des troubles à l'ordre symbolique.

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Il y a non loin de moi un puits conique qui m'aspire avec une force phénoménale, comme s'il fallait qu'en m'y retrouvant collé je le comble de mon corps.

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25/11/2007

Comme si je me jetais par la fenêtre mais en bas il n'y a pas de trottoir, il n'y a que le vide, un précipice infini, la liberté de l'air tiède. Je chute et le sol se creuse au fur et à mesure pour moi, afin que je ne le rencontre jamais et que je ne meurs pas en le heurtant.

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Chaque seconde je n'aurai pensé qu'à ça, sans cesse présente à mon esprit une préoccupation première : comment les humains organisent leurs relations amoureuses, comment apprendre et devenir aussi doué qu'eux à ce jeu-là.

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J'ai dû revenir à pieds jusque chez moi et ça m'a pris presque trente ans.

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Si vous ne me croyez pas, lisez mes lèvres, lisez mes livres.

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24/11/2007

J'ai ici tous les élements, les dates, les lieux, j'ai toutes les preuves, les photos, les enregistrements, je pourrais mettre tout le dossier sur la table, je le ferai peut-être.

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J'ai tout vu, j'étais aux premières loges, et pour cause, depuis le temps, depuis toutes ces années.

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Malgré tout, il me reste une ennemie : l'amnésie. Elle me grignote.

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Des êtres de grande valeur veillent sur moi, parfois même à leur insu.

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Mon corps avait été façonné pour son corps et son corps avait été façonné pour mon corps.

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L'écriture est une guerre avec soi-même, et c'est une guerre de mouvement.

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23/11/2007

J'ai pris un sentier sur lequel, apparemment, on est obligé de marcher seul.

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Moi et mon destin, c'est du judo.

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Elle avait un corps si sensible que la moindre étincelle émotive l'aveuglait et la privait de vision durant plusieurs minutes.

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Les seules femmes que j'ai envie de connaître sont les enchanteuses.

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22/11/2007

Un baiser sur le front, un baiser sur les lèvres, deux baisers sur les joues, deux baisers dans le cou.

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Contre toute évidence, alors que la réalité prouve sans cesse le contraire, au fond de moi pousse un buisson lumineux qui, à mesure qu'il grandit, me convainc que ma place est sur cette île, et que cette île magnifique est au milieu de l'océan un immense continent.

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Elle est une île. Il est une aile. CQFD, l'amour le fait voler.

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Je voyais les façades, les passants, les voitures, s'éloigner à toute vitesse de moi, comme si j'avais reculé à l'intérieur d'un tunnel, comme si on avait attaché dans mon dos une élastique tendue à l'extrême qui subitement commençait à reprendre sa forme d'origine.

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21/11/2007

Aucune épée ne me touche et les flèches s'écartent lorsqu'elles m'approchent, personne ne peut stopper ma progression. Parce que je ne peux pas voir mes ennemis, je ne ressens aucune peur et je reste invulnérable.

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J'étais tellement heureux, je suis rentré chez moi, j'ai retiré mes chaussures, je me suis allongé sur le sol, et j'ai dormi en chien de fusil, à même la moquette.

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Nous sommes l'unique voie de libération.

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Je voudrais vraiment pouvoir croquer dans la pierre jaune des murs d'ici. Un jour, je saurai le faire.

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20/11/2007

Elle m'a ouvert le corps. Rien de plus agréable sur la Terre.

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Tout le monde se rend bien compte que la réalité est flottante, alors que ce qui existe dans les livres ne prête pas à contestation.

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Je suis un homme liquide dénué de forme, une sorte de petit océan. Je suis un homme liquide qui attend celle qui le boira jusqu'à la dernière goutte.

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À mesure que nous avançons, les arbres de la forêt grandissent à vue d'oeil et nous protègent de mieux en mieux.

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Je cherche comment percer un minuscule trou dans cette vie, un trou pas plus gros qu'une tête d'épingle.

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19/11/2007

Je suis seul avec moi-même : enfermé dans une pièce en tête-à-tête avec moi-même. Les autres restent toujours à l'extérieur.

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En dix mois elle m'a mis à nu. Dix mois. Dis-moi.

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Jour et nuit, pour ainsi dire depuis le premier jour de ma vie, jour et nuit face au miroir à me scruter, et je ne vois toujours rien. Je ne me rends pas heureux.

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L'autre monde, celui où elle et moi aurions été heureux en secret. Et en face : ce monde-ci, ridicule, le pauvre monde des mots et de l'Art qui, aussi absolu soit-il, n'est pas encore la vie.

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J'ai de temps à autres une pensée pour un écrivain vivant dont les livres me bouleversent. Ce matin, bénédictions sur Christine Angot.

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18/11/2007

Elle était mon double cosmique, mon miroir, la réponse à chacune de mes questions. On ne peut rien faire contre ça.

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J'aurais voulu que nous lisions ce carnet à deux voix, en public : un paragraphe pour elle, un paragraphe pour moi.

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Au milieu de mon jardin, il y a un grand bassin plein de nénuphars dans lequel je viens pêcher quatre ou cinq phrases quand mon écriture reste muette.

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Tout ce qui m'est arrivé et m'arrive encore dans la vie, mon destin, prend la forme d'une silhouette humaine sans visage, d'un être aux dimensions gigantesques qui occupe la totalité du ciel et tourne au-dessus de moi sans me voir. Il devine tout juste ma présence alors que moi je le distingue très nettement.

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17/11/2007

J'ai bien peur d'avoir changé l'or en plomb.

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Je ne me rends même pas compte que je vis dans Bordeaux; pauvre enfant gâté !

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Je ne suis pas un homme réel, je suis un homme en plâtre, un mannequin qui donne l'illusion du vrai, car je ne peux pas bouger, je ne peux pas parler, je ne peux pas penser, et sous mon thorax aucun coeur ne bat.

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Je crois que je ne réussirai jamais. Un matin, je vais tomber sans pouvoir me relever.

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16/11/2007

Je vais me réparer.

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Je dormais sur un grand lit disposé dans la vitrine d'un magasin, et tous les passants s'arrêtaient pour me regarder.

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Chaque jour, le même espoir fou qui pousse à croire que la situation va s'améliorer.

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Un morceau du monde est manquant. Je sais que c'est à moi soit de le retrouver, soit de le remplacer.

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15/11/2007

Les choses commencent à bouger, je le sens. Ma littérature produit lentement ses effets : les murs des maisons se mettent à marcher.

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Je voulais seulement qu'elle apprenne à léviter, qu'elle sache projeter son corps dans le temps; tous les grands artistes savent faire ça : tenir l'Histoire au creux de leur paume.

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Mes yeux n'ont jamais cessé de s'élever, comme deux minuscules ballons de baudruche détachés de ma tête et irrésistiblement attirés par le soleil.

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Elle était belle comme la promesse des matins d'été : un immense roman, l'océan, tout l'Univers.

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14/11/2007

On m'a retiré un à un tous les os du corps.

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Quelqu'un qui passe au travers de moi comme si j'étais transparent, et qui ne sent rien alors que moi je sens tout.

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J'ai trouvé une personne encore plus dure que moi. Dure comme le diamant, et d'ailleurs belle comme le diamant.

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Les grelots, les carillons, les bourdons, les grosses cloches, toutes ces sonneries de liberté qui peuplaient mon enfance : elles existent toujours, mais un adulte ne peut plus les entendre.

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13/11/2007

Malgré tout, j'ai quand même pu écrire des choses impossibles que personne d'autre ne pourra plus écrire après moi.

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Peut-être suis-je le seul à savoir d'où proviennent ces phrases et où elles reviendront lorsque le livre se terminera.

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Je suis arrivé à un point où je peux me nourrir uniquement de pain frais avec un peu de beurre étalé : un vrai festin.

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Ce que je construis ici, c'est une muraille : celle de l'enceinte de mon château, dressé sur la colline. Tous et toutes voudront y vivre un jour.

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12/11/2007

Je vais où on m'appelle.

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Nos coeurs lorsqu'ils battaient étaient synchrones, au point qu'on aurait juré un seul corps disposant de deux coeurs, comme les deux yeux, les deux oreilles, ou les deux mains.

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Je ne me suis pas trompé, j'étais au bon endroit.

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Je suis triste de toutes les femmes que j'ai perdues. Il y a dix ans, j'avais compté leur nombre, il y en avait déjà presque cent. Personne ne me croit. On ne croit jamais les écrivains.

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Je pleure. La pluie est ma complice.

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11/11/2007

Je n'ai pas d'âge, je ne sens pas les douleurs de mon corps, lui que je vois à peine (seulement mes mains). J'aurai toujours vingt ans, avec un jour peut-être les jambes brisées, les bras brisés, la nuque brisée.

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J'ai attrapé une comète au lasso, j'ai sauté sur son dos, cheval sauvage.

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De mon côté le sentiment aura été fulgurant et surhumain : j'ai été transporté à l'autre bout de la galaxie, corps déplacé contre ma volonté, extrait de la planète Terre et déposé sur Jupiter.

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Je n'ai pas le temps, je n'ai plus le temps, je ne peux pas attendre toute la vie, impossible de retenir le paysage plus longtemps.

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10/11/2007

Mon carnet écrit tout seul ses phrases. Tout juste me demande-t-il de tenir un stylo droit debout sur son ventre et de le laisser tracer sa courbe au gré du tremblement.

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Plus je vieillis, plus je me transforme en divinité omnisciente.

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Bordeaux, jardin caché de l'Europe, secret le mieux gardé du monde, joyau de l'Atlantique, feu de mes reins, etc. etc.

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J'ai marché des milliers de kilomètres pour parvenir jusqu'ici.

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09/11/2007

Eux au moins, ils sont fidèles, à la vie à la mort.

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Les lettres, les mots, les phrases et les récits, oui. Mais les humains, non, trop de soucis et de fatigue.

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Vous voulez vivre une aventure de dingue ? Cherchez à publier des livres. L'Everest, à côté, ça n'est pas grand chose.

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Everest, en verlan ça donne "Est-ce vrai ?".

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Je pourrai continuer comme ça, jusqu'à mourir de vieillesse.

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J'ai rencontré une jeune femme. Et mes mots l'ont aimée.

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Je ne suis qu'une machine, un robot qui ne sait rien faire d'autre que transformer la vie en lettres. À n'importe quel prix.

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08/11/2007

Les fantômes de mon passé, c'est moi qui vais les chercher pour les traîner jusqu'ici. Je leur serre les avants-bras de toutes mes forces pour les obliger à rester debout face à moi, les yeux dans les yeux du lever au coucher.

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C'est à celui qui baissera le regard le premier. Ces fantômes sont déjà morts. Moi je sais que je ne peux pas mourir. La lutte durera peut-être longtemps.

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Un collègue, en me quittant, me lance soudain : "Ménagez-vous". Il ignore que ma voiture roule à tombeau ouvert et que je suis accroupi sous le volant, occupé à tenter de réparer les freins.

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Si, comme je le pense, elle a été ma bonne fée, alors je suis son obligé.

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Son sourire était un ascenseur express qui expédiait tous les hommes sur la Lune.

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07/11/2007

Je ne céderai jamais. Chaque matin, je me réveille plus fort que la veille au soir; ma taille terrestre augmente de semaines en semaines.

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Elle s'est acharnée sur le cristal de mes pensées à son égard jusqu'à tout réduire en copeaux.

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Le ciel s'écroule sur moi. Le plafond du monde cède mais inexplicablement je le transperce et je reste vivant. Dorénavant, la tête couronnée d'étoiles, je sais ce qu'il fallait savoir.

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Ma main ne m'appartient plus lorsque j'écris. J'ai beau savoir que c'est un phénomène normal qui touche chaque écrivain, il m'effraie.

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06/11/2007

Mon esprit est lassé d'elle, mais mon corps l'aime de plus en plus. Comme ce monde est étrange !

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Je lève les yeux : à notre exacte verticale, entre elle et moi un avion a tiré une ligne blanche sur le ciel bleu du crépuscule. Tu ne franchiras pas cette ligne, me dit l'Empereur de jade.

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Des chiens jouaient, se poursuivaient autour de la place, aboyaient, feignaient de se mordre, sautaient, paradaient, repartaient en sens inverse dans leur ronde.

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Ne me prenez pas pour un idiot, je connais les règles du sort, j'ai lu assez de livres, vu assez d'événéments, entendu assez de rires et de pleurs, pour toutes les apprendre par coeur.

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05/11/2007

Je suis devenu aveugle et sourd d'un coup, aussitôt que j'ai compris ce qui s'était passé. Je ne vois plus, je n'entends plus. J'espère que ça passera à la longue, que je retrouverai mon corps, que tout rentrera dans l'ordre. Mais quel ordre ?

*

Négocier ces virages-là n'importe où ailleurs qu'à Bordeaux serait impossible, on se pendrait. Alors qu'ici les chocs sont amortis par le velours des murs ancestraux et la musique de la boisson locale, écarlate et aromatique.

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Je sais que les phrases vivent, que chacune possède un visage. C'est à moi de trouver quelle phrase parfaite est le miroir de cette femme.

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J'ai payé ce que je devais.

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04/11/2007

Je suis sous les ordres de mes livres futurs.

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Les hommes et les femmes écrivains sont résistants comme des fakirs; ce qui rend leur fréquentation dangereuse pour le commun des mortels.

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Quand je reste seul chez moi, je me dédouble et nous voilà deux.

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Il est grand temps de lever l'ancre à destination d'un autre port.

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03/11/2007

Je dois fermer le robinet des larmes avant qu'il ne soit trop tard, alors chaque jour je cherche la solution de mots, la phrase parfaite, le remède grammatical qui fera un miracle.

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Presqu'au premier regard, dès les premières paroles échangées, j'ai su que devant moi se tenait le paradis, l'été éternel, océan, sable, ciel et chaleur. Elle semblait me dire : "Je suis la vérité".

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Un feu qui brûle à l'intérieur de mon corps, qui le creuse comme un foyer et y transporte mes yeux pour qu'ils admirent au plus près le battement de la vie.

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L'armée des mots me protège.

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02/11/2007

La pression est si énorme que je sens ma tête qui se déforme, mon visage qui s'aplatit comme une crêpe. Je suis écrasé et bientôt je n'ai plus aucune forme : le premier inconnu venu peut décider quel l'aspect aura mon enveloppe charnelle.

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Si quelqu'un sait comment stopper cette roue géante, comment sauter en marche, je suis preneur.

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Durant quelques semaines trop fugitives, le sang coulant dans mes veines a pris la couleur du gazon et ma peau sur tout le corps était bleue.

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Même les animaux me détestent.

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01/11/2007

Une demeure inoccupée, une grande maison vide sans meuble, voilà ce qu'est devenu mon corps.

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Tous les morts hurlent contre moi dès que je veux m'endormir.

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C'est la première fois que je suis trahi à ce point par quelqu'un.

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Heureusement : je suis aidé par eux, je suis aimé des mots.

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Suite du Carnet...

 
Carnet (extrait, août 2007)
(extrait du carnet, août 2007)


Ce texte est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance
avec des personnages ou des faits réels
serait donc le fruit du hasard.
Ce texte est
© Marc Pautrel